Au Musée des Avelines se dessine le parcours d’un jeune prodige qui portait en germe un orientalisme humaniste, à rebours des clichés.

Saint-Cloud (Hauts-de Seine). Après une exposition sur le peintre qui s’est tenue en 1991-1992 au Musée des Avelines, son directeur, Damien Chantrenne, revient sur Henri Regnault (1843-1871), tué lors de la seconde bataille de Buzenval qui s’est déroulée en partie sur le territoire de Saint-Cloud. Le peintre doit sa célébrité à cette mort prématurée en héros et à une promesse de carrière qui ne s’est pas réalisée. Le temps a presque effacé son souvenir : seuls l’entretiennent quelques historiens de l’art, peut-être plus fascinés par sa figure romantique que par son talent. Il fallait donc réévaluer vie et carrière, avec une contrainte : il est impossible de présenter des œuvres de très grand format dans le musée. Or, le tableau le plus célèbre de Regnault, Exécution sans jugement sous les rois maures de Grenade (1870), mesure un peu plus de 3 mètres de hauteur sans son cadre.
C’est pourtant par cette Exécution que s’ouvre le parcours, ou plutôt par une reproduction de très bonne qualité flanquée d’une esquisse pour le personnage principal en la figure du bourreau. Cette petite huile sur toile a été acquise récemment par les collectionneurs Corinne et Étienne Bréton, apparentés à la fiancée du peintre, Geneviève Bréton. Après ce préambule, « une symphonie de couleurs » selon Théophile Gautier, la déflagration que fut la mort de Regnault est presque l’unique sujet de la première salle. Ce « musicien charmant, et, à ses heures, poète », comme l’a écrit Auguste Angellier, curieux, polyglotte, entouré d’amis, que décrivent ses biographes dans les années 1870 et 1880, est évoqué par des documents, des photos et son unique portrait peint connu, exécuté par Victor Giraud vers 1863. Les autres objets et œuvres exposés montrent comment Regnault, Prix de Rome, a été pour le monde académique la figure représentative de tous les artistes morts lors de la guerre de 1870.

Que serait devenu Regnault s’il avait vécu ? C’est la question que pourrait se poser le visiteur dans la suite du parcours. Son désir de voyage, son orientalisme dont Damien Chantrenne dit dans le catalogue qu’il a influencé toute la suite du mouvement, son talent de portraitiste sont documentés par des œuvres souvent à l’état d’esquisses, parfois maladroites mais témoignant de sa virtuosité de dessinateur et de coloriste, de sa touche libre, de la modernité que lui reconnaissait la critique de son temps, loin de l’académisme qu’on avait voulu lui inculquer. Installé à Tanger avant sa mort, il envisageait un périple en Inde dans lequel sa fiancée s’était engagée à l’accompagner.
Si l’on en juge par ses portraits d’amis ou de paysans rencontrés en Espagne, dans lesquels il se montre attentif à la psychologie de ses modèles, les figures de fantaisie comme L’Espagnole canaille (1868) ou la célèbre Salomé (1870), conservée aux États-Unis et représentée ici par une reproduction, auraient probablement cédé la place à des œuvres plus authentiques. Le Portrait de Kader, jeune groom du peintre au Maroc (1869-1870), ou le magnifique lavis Arabe debout (1869-1870) du Musée d’Orsay le laissent en tout cas imaginer.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Quel orientaliste aurait pu être Henri Regnault ?