L’artiste chinoise fait l’objet d’une rétrospective à l’Asia Society, mettant en valeur son long exil en France.

Hongkong. C’est dans le cadre de sa série consacrée aux artistes chinoises du XXe siècle que le centre d’art de l’Asia Society expose Hoo Mojong (He Muqun, 1924-2012). Depuis 2017, quatre autres artistes ont été ainsi célébrées : Fang Zhaoling (alias Lydia Fong, 1914-2006), Pan Yuliang (1895-1977), Irene Chou (Zhou Luyun, 1924-2011) et Lalan (Xie Jinglan, 1921-1995). Hoo Mojong fait l’objet d’une redécouverte récente, dans le sillage de la rétrospective que lui a consacrée le China Art Museum de Shanghaï en 2024.
Née à Ningbo, dans une famille relativement aisée, elle quitte la Chine en 1948 pour un exil de plus d’un demi-siècle. Aprés avoir vécu successivement à Taïwan, au Brésil, en Espagne, elle s’installe en France en 1965. En 2002, elle revient vivre à Shanghaï après ce long exil et y passe les dix dernières années de sa vie. La reconnaissance artistique dont elle bénéficiera en Chine à partir des années 1990 joua un rôle déterminant dans son retour. Elle a d’ailleurs légué une centaine d’œuvres au Shanghai Art Museum. Toutefois, l’Asia Society présente essentiellement des œuvres issues de collections privées de Chine, de Taïwan et d’Amérique du Nord.
Intitulée « Objects of Play » (Objets ludiques), l’exposition a été conçue par Valerie Wang, en partenariat avec la Bao Foundation, fondée par le couple de collectionneurs chinois Yang Bin et Yan Qing. Offrant un aperçu nuancé de la trajectoire artistique de Hoo Mojong, elle réunit près de 100 œuvres couvrant les différentes étapes et pratiques de sa carrière : peintures, dessins et gravures, accompagnés de quelques documents d’archives. Travaillant parallèlement à son catalogue raisonné, Valerie Wang souligne que l’on sait encore peu de choses sur la vie personnelle de l’artiste, demeurée très discrète tout au long de sa vie.

Avec trois sections sur cinq consacrées à ses œuvres parisiennes, le parcours met en lumière le caractère épiphanique de cette période dans son parcours. Son intégration à l’Académie de la Grande Chaumière à Paris a joué un rôle clé, comme pour ses prédécesseurs chinois Sanyu et Zao Wou-Ki ou d’autres femmes artistes, telles Louise Bourgeois et Maria Helena Vieira da Silva. Son talent est rapidement reconnu, grâce notamment au prix que le Salon des femmes peintres lui a décerné en 1968 pour sa série sur les jouets, laquelle a inspiré le titre de l’exposition hongkongaise.
Hoo Mojong privilégie les contrastes, les aplats de couleurs vives et les cadrages qui tronquent souvent une partie du sujet ou de la scène. Les personnages sont fréquemment représentés de dos ou avec le visage coupé, comme figés. En accentuant la bidimensionnalité de la toile, ses compositions renoncent à la perspective monofocale au profit d’une profondeur chromatique, intemporelle et rayonnante. Face à la sérénité qui se dégage de ses peintures, ses nombreux dessins de nus féminins introduisent une agitation surprenante, portée par une vitalité à la fois calligraphique et sensuelle.
Figure incontournable du dialogue entre les langages artistiques orientaux et occidentaux, Hoo Mojong opère un transfert de l’esthétique chinoise, traditionnellement liée à l’encre, vers la peinture à l’huile, médium moderne par excellence dans la perspective chinoise. Le motif récurrent du pain, associé à des références culturelles asiatiques, incarne parfaitement ce pont dans ses œuvres parisiennes.
Elle s’inscrit ainsi dans le sillage de Pan Yuliang, mais aussi d’autres pionniers de la modernité chinoise. On pense notamment à Qi Baishi (1864-1957), qui partage avec elle le goût des sujets en apparence simples, comme les fruits, mais profondément symboliques. Maîtrisant un art du réconfort, faussement naïf et spirituellement ludique, elle semble hériter, comme lui, d’une vision taoïste du monde, entre nature et immortalité. Incarnant un modernisme enraciné dans la figuration et décentré de l’Occident, l’œuvre de Hoo s’affranchit des écoles pour affirmer un style personnel fort, à l’instar de celui de Wu Guanzhong, peintre de la même génération.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Hoo Mojong entre deux mondes